Vendredi 06 Février, les Pink Noise Party nous accueillaient dans leur loge avant leur show au Divan du Monde et « il y a du dossier! »
Vendredi dernier, peu avant la Release Party de leur nouvel EP These Creatures We Fear ([Review] These Creatures We Fear, le nouvel EP des Pink Noise Party) au Divan du Monde ([Live Report] Pink Noise Party et leurs créatures au Divan du Monde), les Pink Noise Party nous ont donné rendez-vous dans leur loge pour une interview décontractée.
Les Insouciants: Pouvez-vous nous parler de vos premiers pas?
Syd: On a eu des petits projets avant, mais le vrai démarrage de Pink Noise avec la config’ actuelle à trois avec Sébastien, Joy et moi même date de 2008.
Joy: Mais on a chacun des parcours vraiment différents. On n’était pas en école de musique ensemble. On a pas du tout la même expérience de musique chacun. Syd et Seb’ ont fait le conservatoire et moi j’ai appris vraiment sur le tas la musique.
Pourquoi l’anglais?
Syd: On ne chante pas qu’en Anglais. On a un morceau en allemand sur le premier EP, il y a une chanson qui s’appelle By Numbers qui était en polonais. Pour le prochain album, il y aura un texte en italien, un poème de Paolini…
Pas de français alors?
Syd: Pourquoi pas! D’abord, il faut quand même être honnête: l’anglais c’est la possibilité d’être compris par l’ensemble de la planète, ce n’est pas le cas avec la langue française… Donc ça c’est une première chose… Car dans nos textes on a souvent des choses à raconter qui s’adressent au monde. La deuxième chose, c’est que le choix de la langue est souvent émotionnel. Le français se prête à un certain type de diction rythmique, l’anglais à un autre type. De même que l’allemand est très bien pour des choses qui sont très slamées. En plus les sonorités chuintantes se prêtent plus à certains types d’arrangements. Il n’y a pas de tabou autour du français mais le choix de la langue est émotionnel et politique. Et je pense qu’en ce moment, dans une époque où la France a plutôt tendance à se recroqueviller sur elle même, et on le voit avec la montée du Front National, je pense que notre volonté c’est plutôt, au contraire, d’aller vers d’autres langues, de montrer notre ouverture vers le reste de l’Europe.
D’ailleurs « Pink Noise Party », c’est « party » fête, et « party » politique…
Syd: Exactement, il y a aussi une question politique. Je crois qu’on est tous les trois très « européiste », ça c’est clair. On regarde aux quatre coins de l’Europe, avant de regarder la France. C’est pas un mépris pour la culture française, c’est juste que c’est une culture parmi d’autres, donc il n’y a pas de raisons qu’on la privilégie. On pourrait habiter à Rio de Janeiro, ça nous irait très bien, moi j’aimerais beaucoup chanter en portugais, ça me plairait beaucoup… Portugal du Brazil, du Brazil c’est mui’ bem!
Faut se lancer! Enfin l’italien c’est déjà pas mal!
Ah, Italianio, la più belle lingua di mundo! (rires)
Vous nous expliquez « Quantum Electro Rock » (Ndlr: le style de musique que pratique Pink Noise Party)?
En fait ça n’existait pas comme genre, et on est assez content de l’avoir inventé. C’est un petit clin d’œil au math rock des Foals et de tout ces groupes qui se réclament du math rock depuis 2008, avec des structures de morceau très sophistiquées. Du coup on s’est dit bah nous aussi on va faire notre genre à nous. Pourquoi « quantique »? Parce que nos chansons, nos mélodies on les crée avec une machine, qui au départ n’était pas faite pour la musique, une machine de physicien qui permet de générer des séquences aléatoires à partir des vibrations quantiques d’un faisceau laser, qui correspond à des vibrations quantiques du cosmos à l’endroit où on se trouve, à l’endroit où se trouve la machine. C’est une machine qui, à partir des fluctuations quantiques d’un faisceau laser, te sort une séquence de 0 et de 1 aléatoire, enfin aléatoire… Nous on a l’impression que c’est aléatoire mais ce sont des secrets de la divinité cosmique si tu veux. Et donc une fois que t’as une série de 0 et de 1, tu les regroupes pour en faire des numéros de notes comme le format MIDI, en tout cas les musiciens comprendront, il suffit d’avoir plein d’octets à la suite et ça fait des numéros de notes de la gamme et puis avec ça on fabrique des mélodies… Il y en a plein qui sont pourris hein! Mais on s’est amusé avec ça, on a bien trippé il y a quelques années. En fait cette machine s’appelle un Single Photon Device, et au départ c’était utilisé à la Fac d’Orsay au sud de Paris, à Paris 11, pour faire des mesures de processus quantiques sur les bases de la physique quantique. On l’a détourné de son but initial! En fait moi je suis prof de fac en physique quantique et il y en a une dans mon labo’ et donc je l’ai détourné. Je l’ai pas prise pour moi hein, ça coûte trop cher… Le fait de l’utiliser pour des mélodies, c’était original.
Comment vous-êtes vous rencontré?
Syd: On s’est rencontré, par hasard, à Los Alamos! On était pas du tout au lycée ensemble ou quoique ce soit. On faisait chacun un truc différent: Joy voyageait au Etats Unis en mode touriste, Seb’… Je sais plus ce que tu faisais Seb’… T’étais pas en pèlerinage mystique ou je ne sais quoi?
Sébastien: Si, si, moi j’allais faire des pèlerinages dans le désert!
Syd: Ah oui c’est ça! Un moment il était dans un trip complètement barré ce mec! Franchement hein!
Joy: C’est pas la fois où tu as fait le burning man et compagnie?
Sébastien: Exactement!
Syd: Et moi j’étais en conférence de physique à Los Alamos!
Vous vous êtes retrouvés où alors?
Syd: Dans un magasin de vinyles! Enfin, on s’est retrouvé, car Los Alamos c’est pas très grand hein: t’as pas 36 bars fun et 36 magasins marrants. Il y a un magasin de disque pour toute la ville, et on s’est déjà croisé dans un bar Seb’ et moi… C’était le seul frenchie dans le bar et on a commencé à discuter machin, et puis on l’a croisé le lendemain dans l’après-midi (Ndlr: Joy)…
Joy: … Je cherchais le disque des Cure! …
Syd: Et on était là, on discute, on discute et on s’est recroisé à Paris quelques mois plus tard en se disant « Putain on devrait monté un groupe! ». C’est comme ça que ça s’est fait! On avait tous déjà un projet, ça marchait pas bien, on se faisait chier, enfin voilà on a eu cet espèce de kif!
Alors avant de continuer je vais juste regarder si mon dictaphone marche toujours, car je vois que ça s’est éteint...
Seb’: Ah ce serait dommage parce que là ce qu’on raconte c’est quand même intéressant, c’est croustillant!
Syd: C’est croustillant, il y a du dossier! On te l’a donné en exclusivité! Le coup de Los Alamos c’est une exclu’ pour toi! Personne nous a jamais demandé!
C’est bon ça marche! Alors question suivante: qui fait quoi dans le groupe?
Syd: On est que trois donc on est forcement interchangeable. Seb’, ça lui arrive de composer des parties à la maison, ça lui arrive de composer des mélodies. Joy écrit une partie des textes, j’écris une autre partie. On collabore même avec des gens à l’extérieur qui nous écrivent des textes. Ça veut pas dire qu’il n’y a pas de leader, mais il y a un leadership pour chaque choses. En terme d’organisation du groupe, c’est quand même Joy qui est leader. Sur les structures de morceaux on va dire que c’est plutôt moi, bien que les arrangements sont collectifs. Après chacun a un petit peu son truc. Sébastien est très très bon, par exemple, sur la vision globale du morceau, En général il voit très vite quand il y a des choses trop répétitive. Moi j’ai plus tendance à être sur la mélodie.
Concernant votre nouvel EP, y a-t-il une thématique qui se détache?
Syd: Tu le racontes très bien ça, toi, Joy!
Joy: Déjà le titre c’est These Creatures We Fear, donc c’est un peu l’espèce de peur dans laquelle tout le monde vit un peu en ce moment. Tout le monde est là, tout le monde a peur et on essaye de reprendre ça à travers quatre chansons. La première c’est Control: les gens aujourd’hui n’osent plus perdre le contrôle. La vie est carré, tout est bien comme il faut pour que tout soit au millimètre, pour que tout soit bien pensé. Le deuxième morceau c’est un peu particulier, The Day I Stopped Loving You, c’est un morceau qui parle de… ça peut arriver à n’importe qui, tu te réveilles le matin et t’aimes plus la personne qu’il y a à côté de toi. Tu l’aimes plus qu’est-ce que tu fais?
Syd: C’est aussi la vacuité… Et The Fear Creature, qui a donné son nom à l’EP, est une chanson sur la loyauté, la peur de mentir, la peur de tricher. Et là dernière Pulse…
Joy: Pulse c’est la peur de donner, donner, donner et ne jamais rien recevoir en retour et de se perdre dans les autres, d’être sans cesse à l’écoute de tout le monde et au final les gens te mentent.
Syd: En fait, tu vois que finalement c’est une question politique. C’est la question de: est-ce qu’il faut être de gauche, et être tout le temps généreux, avec une certaine forme de noblesse, en sachant que tu vas peut être te faire couilloner à un moment ou un autre, ou être de droite, c’est à dire, en commençant par voir l’homme comme un égoïste et voir ensuite si, éventuellement, on peut être sympa avec lui.
Et il y a une réponse?
Syd: Il y a plein de philosophes qui ont proposé des réponses. Une réponse possible c’est, par exemple, commencer par être généreux puis on revoit notre position. Deleuze disait qu’être de gauche, c’est commencer par ça puis regarder la position suivante, et être de droite c’est commencer déjà par le principe que l’homme est naturellement mauvais et éventuellement revoir sa position. L’idée est symétrique mais pas n’aboutit pas au même résultat.
Un album avec une thématique forte, cela vous intéresserait?
Syd: Déjà il y a le problème du format du morceau pop de 3-4 minutes. C’est un format qui peut être très frustrant. Moi je viens de la musique classique, où le format de la symphonie c’est trois mouvements qui font 15-20 minutes. En tout cas au XIX siècle les grandes symphonies de Beethoven etc. c’est à peu près 45 minutes. Donc c’est vrai que raconter une histoire sur trois minutes c’est difficile. Raconter une histoire sur le format d’un album, les Pink Floyd arrivaient très bien à le faire. Dark Side Of The Moon on voit que c’est un album concept où il y a une histoire, Wish You Were Here aussi, The Wall bien sûr. La question c’est comment on peut réussir à sortir de la dictature du single: le morceau dure trois minutes et finalement on est dans un récit qui est plus un récit publicitaire plutôt qu’un véritable récit avec un dénouement, une tragédie, enfin finalement, le récit antique… On a pas inventé grand choses depuis les grecs… En tout cas sur le fond, sur la forme oui… Et c’est pour ça que nous on travaille avec des danseurs , on travaille avec une troupe de théâtre, on fait des performances dans la rue aussi. On essaye d’hybrider. On peut pas faire que des performances dans la rue parce que le milieu de la musique n’est pas encore prêt à avoir des groupes qui sont pas classables. Il faut que les gens puissent les classer là, donc on est aussi sur scène dans des trucs plus classique. Mais l’idéal ce serait de vraiment pouvoir considérer une vraie communion de la danse, du théâtre, de la musique. Ce serait très intéressant.
Oui votre travail semble très théâtralisé, la pochette de l’album avec les costumes roses, j’imagine que les vêtements doivent traîner là quelques part. Le look, la musique tout est lié pour vous…
Syd: Tout est lié, oui. En fait, les costumes de dictateur c’est un choix, une résonance sur la question de contrôle. Le contrôle c’est une forme de dictature, même si ce n’est pas explicitement politique. C’est à dire que c’est pas identifié avec des dirigeants élus ou pas d’ailleurs… La dictature se cache dans les détails, c’est la pensée unique, c’est l’hystérie de la société dès qu’il y a un truc qui est un tout petit peu choquant. Elle se trouve dans plein d’endroits en fait cette tyrannie.
Donc ce soir sur scène ce sera votre dictature?
Syd: (Rires) En tout cas c’est une manière de composer un miroir de la société, même si je sais pas ce que les gens ont envie de comprendre là dedans. Il y a plein de grilles de lecture. Après tout, pourquoi on pourrait pas nous voir comme des stewartds déguisés en rose qui défendent la cause gay! Ça peut être ça aussi! Il y a plein de façon de voir ça!
On parle de performances originales, vous pouvez raconter celle du concert aquatique dans un bunker?
Syd: On a joué avec des instruments étanches à la Balaclava pour un festival… On y était à l’époque c’était ukrainien… On a fait des très très belles rencontres. On a joué dans un festival d’art contemporain, pas un festival de musique et puis on a monté pendant un an, en collaborant avec l’Ircam (ndlr: Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), on a créé des instruments étanches et on fait de la plongée sous-marine aussi…
Joy: C’était pas un concert dans le sens concert, c’était plus des séquences… C’était un peu comme une table de DJ et on balançait nos séquences…
Syd: Enfin, il y avait une guitare sous-marine, des synthés sous-marins pilotés avec des petits anneaux aimantés. On a donc joué à Balaclava, qui est la ville dans laquelle s’était réfugié Yushchenko pendant la révolution ukrainienne il y a un an. C’est une ville particulière car c’est une montagne dans laquelle est creusé un bunker dans lequel ils réparaient les sous-marins nucléaires à l’époque de l’URSS, qui est aussi d’ailleurs une des sept montagnes de l’Olympe, qui a été visité par Ulysse dans l’Iliade et l’Odyssée. Donc c’est un lieu chargé de mémoire très beau, très mythique. Et puis on a créé un spectacle aussi avec tout un jeu sur le mythe des hommes-poissons qui habitaient au fond de la mer noire. On le retrouve dans des récits antiques. Et ces hommes-poissons font de la musique! Pourquoi pas?
Oui pourquoi pas! (Rires) Plus terre à terre maintenant, le Prix Ricard, content d’être dans les 10 derniers?
Syd, Joy et Sébastien: Ouais! …
Syd: … Mais ils te filent pas de Ricard hein!
Dommage!
Joy: Non mais très très content, déjà d’être sélectionné, de pouvoir tourner cette vidéo avec Rod (Ndlr: Rod Maurice) qui a vraiment fait un super boulot , avec Romain aussi (Ndlr: Romain Della Valle). Ça nous a quand même donné pas mal de visibilité au moment de la sortie de l’EP donc ça tombait très bien. Donc là parmi les 10 ils vont en sélectionner un, la concurrence est rude, et puis voilà…
Vous faites ça à la cool ou alors il y a la pression?
Joy: Non c’est vraiment à la cool
Syd: On ne fonctionne plus dans le fantasme de la réussite. On fait notre truc, donc si on est pris, bah tant mieux et si on est pas pris peut-être tant mieux aussi après tout. De toute façon ça dépend pas de nous, donc qu’est-ce qu’on peut faire! Là on a donné tout ce qu’on avait à donner, et une fois que t’as fait ça c’est pas la peine de fantasmer les choses. Il faut être dans le réel.
(Ndlr: C’est finalement Fuzeta qui a remporté mercredi 11 février le Prix Ricard S.A. Live Music 2015)
Quelles sont vos inspirations musicales? Est-ce qu’il y a vraiment…
Syd: Schubert! Clairement Schubert m’inspire beaucoup pour les mélodies. C’est un peu vieux, je te l’accorde, ça fait quand même bientôt 200 ans, mais ça nous inspire énormément. Je crois qu’on est tous d’accord sur Schubert. On arrive pas à se mettre d’accord sur un groupe parce qu’on est trois, c’est ça le problème. On a chacun nos trucs, mais il n’y a pas de recoupement. Après il y a des groupes classiques… C’est sûr que si tu prend Bowie, les Cure et les Floyd on va tous être d’accord. Mais les groupes de maintenant… Il y a des groupes qu’on aime bien…
Joy: Il y a toute la scène australienne electro qu’on aime bien…
Syd: Evidemment Arcade Fire ou Phoenix, des choses comme ça, mais de là à dire que ça inspire je sais pas. Là, cette semaine j’écoute Django Django, je trouve ça vachement bien. Aujourd’hui c’est difficile de parler d’influences, il y a un tel melting pot… Et puis moi j’ai quand même écouté de la musique classique toute mon enfance et que ça, j’imagine que ça m’influence.
Quelle partie de votre travail préférez-vous: la réflexion, la conception, la performance scénique?
Syd: Moi je crois qu’on adore poser des affiches hein! Clairement, c’est le truc qu’on préfère!
Joy: (Rires) Ouais, coller des affiches avant un concert!
Syd: Ou non encore mieux, flaguer! Alors ça c’est génial! Après aller sur scène, composer des morceaux ça ça nous fait ultra-chier!
(Rires) Mais entre les deux? Il y a certains groupes qui…
Syd: Qui adorent faire la com’?
Non! Qui préfèrent travailler leurs morceaux plutôt que de les jouer sur scène…
Joy: Nous, on trouve ça aussi important de jouer ton morceau et de le présenter que de le faire.
Un grand merci à vous les Pink Noise Party!
Propos recueillis par Martin Vienne
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Ainsi que notre chronique de l’EP:
[Review] These Creatures We Fear, le nouvel EP des Pink Noise Party
Et le Live Report de la Release Party:
[Live Report] Pink Noise Party et leurs créatures au Divan du Monde
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